Entretien avec Olivier Dauvers, journaliste, expert en retail et fondateur du site Le Web Grande Conso.
Très sollicité par les médias pour son expertise et sa connaissance du monde de la distribution, Olivier Dauvers a bien voulu partager avec nous sa vision du moment… Et du monde de demain !
Qu’est ce qui pour l’instant, vous a marqué dans cette période ? Une belle histoire ? Une enseigne ? Une personnalité ?
Ce qui me marque, c’est le sans faute en communication d’Intermarché, c’est l’enseigne qui fait le mieux le job parce qu’elle est à la fois sur l’amont et vers l’aval. Elle ne communique pas de façon incarnée comme par exemple Dominique Schelcher pour Système U. Intermarché prend beaucoup la parole, vers le monde agricole avec la promesse de ventes à prix coûtants, vers l’aval quand elle prend l’engagement de prix bloqués sur 10 000 produits, en allant plus loin que les MDD, plus loin que ses concurrents sur le sujet des marques nationales à prix bloqués.
L’enseigne s’engage plus massivement que les autres, sans incantation, avec de vrais actes. Ma belle histoire du moment , c’est donc comment Intermarché est en train de prendre le lead des enseignes de distribution en matière de communication
Quelles sont les initiatives de marques ou d’enseignes qui vous ont interpellé ?
J’ai été frappé par la vitesse avec laquelle les vitres de plexi ont été déployées dans les magasins. Si on se remet dans le contexte, la crise nous est tombée dessus de manière ultra-violente. Il y a en France, 2500 hypers et 7000 supermarchés qu’il fallait équiper en peu de temps. J’ai été frappé de constater qu’en une semaine, 75% des magasins étaient équipés de ces vitres en plexi pour les caisses. Ok, on peut dire que ça ne protège pas complètement les hôtesses de caisse, qu’il manque de gants, de masques, mais je trouve que d’avoir réussi ce taux d’équipement en 1 semaine, ça me semble quelque chose de notable, ça m’a vraiment frappé.
Avez-vous noté des changements qui seront potentiellement pérennisés ?
Par principe, tous les mouvements déclenchés par la contrainte ne sont pas restés là où la contrainte les a mené, ça s’appelle Archimède, ça s’appelle l’élastique… ça ne reste jamais au niveau de tension où le niveau de contrainte vous a conduit. Il ne faut pas rêver, il n’y aura pas du tout de mouvement d’une violence comparable à ce que l’on a connu pendant la crise. Par contre il reste toujours quelque chose d’un mouvement. Au moins une inertie, c ‘est de la physique de base. Appliqué au commerce, la majorité des consommateurs qui ont découvert le drive retourneront en magasin, mais si la part de ceux qui restent n’est que de 20% ou 30%, soit une minorité , malgré tout, ça aura fait un appel d’air énorme pour recruter de nouveaux clients. Le drive sortira de la crise beaucoup plus fort.
De manière plus symbolique, l’habitude d’usage du paiement sans contact n’avait pas été réellement prise en France. Là ça change, on se rend compte que c’est pratique, ça peut faire partie des petits gestes qui vont avoir un prolongement dans un avenir proche.
Sinon, je ne vois pas de changements. Il y a une polémique en ce moment dans la presse grand public, l’inflation des prix des fruits et légumes. C’est intéressant. Oui il y a une inflation des prix… mais parce qu’on a changé de fruits et légumes ! Un exemple, il n’y a plus de fraises espagnoles sur le marché, on a de la fraise française, mécaniquement c’est 2 fois plus cher. Ce n’est pas de l’inflation, c’est un changement de produit ! Quand on voit l’émotion autour de cette hausse des prix c’est totalement antinomique avec ce que l’on lit, depuis des années, sur le consommateur français qui serait prêt à payer plus cher pour des produits d’origine française… Bah non, pas tant que ça quand même ! Cela veut dire que le consommateur, quand il est confronté à une augmentation de prix, est incapable de l’analyser comme une augmentation normale parce la bascule de prix s’étale d’ordinaire sur une période de 3 semaines, donc tu ne t’en rends pas compte et que là, elle s’est opérée du jour au lendemain. Cela prouve bien qu’il faut regarder avec distance ce que le consommateur dit… Et plutôt regarder ce qu’il fait !
Peut-on déjà imaginer l’impact de cette crise sur les modèles économiques de la distribution ?
Je pense qu’il y a beaucoup d’enseignes qui vont souffrir économiquement et que ce qui va les faire vaciller à très court terme, c’est leur compte d’exploitation. On n’imagine même pas la douleur que vont devoir encaisser les hypers. D’abord parce que la baisse de trafic est colossale en hyper, parce que par principe l’hyper, il est loin. Mais surtout parce qu’il est victime d’un recul catastrophique du non-alimentaire, bien plus évidemment, que le supers… Déjà que le modèle hyper n’allait pas bien avant le crise… Connaissant la rentabilité des hypers, je me demande comment ils vont pouvoir boucler leurs comptes d’exploitation en 2020 !
A l’inverse cela va conforter quelques dynamiques… Actuellement Intermarché gagne 1% de part de marché par semaine, c’est du jamais vu ! Intermarché possède la meilleure combinaison image/prix et proximité. C’est lui qui va sortir gagnant, Systeme U sortira aussi gagnant, Leclerc un peu moins parce qu’ils ont des hypers.
En fait, les tendances que l’on suit depuis quelques temps vont être complètement exacerbées par la crise. Pour les Auchan, Carrefour ou Cora ça va être dur… Mais aussi pour les enseignes de proximité parisiennes, 15% des parisiens ont quitté la capitale, plus de touristes ça compte !
Un message à faire passer ?
Un mot, plus qu’un message. Ce mot, qu’il faut assumer, c’est “dégradé”. Le commerce doit assumer le fait qu’il est en mode dégradé et pour un bon bout de temps. Ce n’est ni honteux ni grave, mais il ne faut pas faire croire au consommateur qu’il n’y a pas de pénurie. Un commerce en mode dégradé, c’est moins de choix, plus de ruptures, moins de rayons ouverts, plus d’attente… Et que tout cela est normal pour tenir. Il faut assumer ce mot et ne pas raconter au consommateur une autre histoire que celle qu’il vit, qu’il voit. On lui dit qu’il n’y a pas de pénurie, c’est faux et il le voit quand il parcourt des rayons vides. Il faut assumer ce mot : dégradé !