Interview de Christian Mairesse, responsable de l’Expression de la Marque chez Leroy Merlin.
Ou comment l’enseigne leader sur le marché de l’Habitat innove et accélère sur ses attributs People et Business pour s’adapter à la situation de confinement ? Tout en poursuivant sa mission, dont l’utilité s’est révélée plus que jamais indispensable.
Pour un retailer comme Leroy Merlin dont le CA est ultra majoritairement produit par nos magasins physiques, c’est un grand plongeon dans le monde du digital first. C’est violent et soudain, mais aussi très riche d’enseignements et peut-être même salutaire.
Est-ce que tout le monde va bien ?
Oui, merci. Tous les proches sont en bonne santé et les nouvelles que j’ai des équipes sont bonnes aussi.
Un message à passer ?
C’est pas très original mais… Restez-chez vous et prenez grand soin de vous.
Que retenez-vous de cette période ? une histoire ? une entreprise ? un homme ? Quelles sont les initiatives de marques ou d’enseignes qui vous ont interpellé ces derniers temps ?
Ouhlà, ça fait beaucoup de questions d’un coup, là ! Je retiens d’abord que nous sommes soudainement renvoyés à notre condition d’être humain.
On se pensait inatteignables, perchés au sommet de la chaîne alimentaire et économique. Notre écosystème vient nous donner une bonne leçon d’humilité. Il faudra savoir s’en souvenir.
Je retiens aussi beaucoup d’histoires individuelles de gens qui nous rendent des services vitaux (facteurs, infirmiers, caissiers, aides-soignants, enseignants, ambulanciers, policiers, agriculteurs, maraîchers, logisticiens, etc…) et dont on sait qu’ils ne sont pas les plus valorisés socialement ni financièrement. J’espère que là aussi on saura de pas avoir la mémoire trop courte.
Je retiens enfin beaucoup de belles initiatives fraternelles, solidaires et utiles à plein d’échelles différentes, grandes marques ou pas.
Florent Ladeyn (mais aussi beaucoup d’autres restaurateurs) – distribution de paniers bio ou repas gastro au CHU Lille / Canal+ qui devient gratuit pendant le confinement / Décathlon qui suspend ses ventes du masque Easybreath et met en place une adresse mail dédiée pour centraliser et organiser les dons aux équipes de santé / Boulanger – qui donne des tablettes aux EHPAD pour garder le contact avec la famille / Marmiton et les recettes spéciales confinement (restes surgelés, aliments impérissables, fonds de placards…) / Dove avec sa campagne (et les actes qui vont avec) “Courage is beautiful”
Comment faites-vous face à cette crise ? Avez-vous des idées de changement opérés qui seront potentiellement pérénisables ?
On a connu le “client roi” (tout est fait pour satisfaire le client, quel qu’en soit le prix en interne), puis est venu le temps de la “symétrie des attentions” (marque déposée par l’académie des services) (on rétablit l’équilibre entre les clients et les collaborateurs), je verrais bien s’ouvrir l’ère du “collaborateur en tête” ou des “équipes d’abord”
Nous y faisons face en restant nous-même et en nous appuyant sur ce que nous sommes. Concrètement ça se traduit par 3 priorités qui guident toutes les actions. Protéger et préserver la santé des équipes en prenant toutes les mesures nécessaires, aussi difficiles soient-elles pour l’entreprise. Être utile aux habitants qui ont, plus que jamais dans cette période, besoin d’être bien chez eux. Nous avons une responsabilité dans le fait de ne laisser personne être “mal” chez lui en ce moment.Assurer la pérennité de l’entreprise. Nous avons un bien commun, et il faut faire notre maximum – compte tenu des circonstances – pour garantir sa continuité.
Le premier changement évident qui devrait perdurer, c’est la bascule radicale vers le numérique.
Pour un retailer comme Leroy Merlin dont le CA est ultra majoritairement produit par nos magasins physiques, c’est un grand plongeon dans le monde du digital first. C’est violent et soudain, mais aussi très riche d’enseignements et peut-être même salutaire.
Le second point clé que j’imagine volontiers se pérenniser, c’est l’absolue priorité à donner aux collaborateurs. On a connu le “client roi” (tout est fait pour satisfaire le client, quel qu’en soit le prix en interne), puis est venu le temps de la “symétrie des attentions” (marque déposée par l’académie des services) (on rétablit l’équilibre entre les clients et les collaborateurs), je verrais bien s’ouvrir l’ère du “collaborateur en tête” ou des “équipes d’abord” (Si je fais tout pour que mes collègues puissent travailler dans les meilleures conditions, avec les bons outils et une tranquillité d’esprit totale, ils ne pourront que mieux servir les clients).Ce n’est peut-être pas un vrai changement, dans la mesure où c’était déjà là avant, mais peut-être pas de façon aussi tranchée et affichée. Ce n’était peut-être pas rendu aussi tangible que face à la crise sanitaire.
Qu’avez-vous mis en place pour pouvoir poursuivre votre mission pendant la crise ?
Synchroniser nos 140 magasins sur les bons messages à passer aux bons moments, de la bonne façon, notamment sur les réseaux sociaux, c’est un véritable exploit.
On a commencé par s’organiser pour protéger toutes les équipes.Télétravail généralisé pour les missions qui le permettent, évidemment. Mais la mise en place des règles de sécurité et de distanciation sociale est plus complexe pour les 20000 collègues qui sont présents dans les 140 points de vente.
La décision a donc été prise de fermer tous les magasins.Tout de suite après s’est posée la question du “service” rendu à nos clients. Une grosse partie de nos clients viennent à nous parce qu’ils ont un besoin, une contrainte, quelque chose qui ne fonctionne pas à la maison ou qui pourrait aller mieux. On s’est donc immédiatement mis en marche pour être capable de servir un public d’habitants que nous ne pouvions pas laisser dans la panade
Nous avons concentré nos efforts sur l’accès aux produits de dépannage d’urgence et de première nécessité (plomberie, chauffage, électricité, eau chaude, étanchéité…).
Il nous a fallu à peine 8 jours pour mettre en place un système de drive sécurisé sur plus de 6000 références. Et 3 semaines pour 30000. Je pense qu’on peut en être très fiers.
Je vous laisse imaginer la performance que ça représente pour nos équipes logistiques de passer d’un modèle de vente centré magasin à un modèle de vente centré commande en ligne avec retrait ou en livraison à domicile.
Côté com’ aussi c’est allé très vite.
Et synchroniser nos 140 magasins sur les bons messages à passer aux bons moments, de la bonne façon, notamment sur les réseaux sociaux, c’est un véritable exploit.
nous avons continué à produire des contenus pratiques, inspirants, divertissant ou pédagogiques. Des contenus adaptés à la situation
On a mis en avant toute la dimension servicielle de notre marque, le dépannage à distance, l’aide à la réparation, l’accès aux pièces détachées… Tout ça existait déjà mais en test, sur un périmètre réduit… là on a ouvert les vannes. C’est dans ces moments-là qu’on sent toute l’importance de travailler avec les bons partenaires.
Et pour finir sur une note qui peut sembler plus légère mais qui a son importance, nous avons continué à produire des contenus pratiques, inspirants, divertissants ou pédagogiques. Des contenus adaptés à la situation, bien sûr. Mais en cette période, on a aussi besoin de s’ouvrir à d’autres choses ou de voir qu’on peut faire ou penser des choses chez soi, pour soi et ses proches.
Plus que jamais, se sentir bien chez soi est essentiel.
Et nous agissons pour continuer à vous servir #SolutionsEssentielles ⬇️ pic.twitter.com/zxpHE5OaOZ— Leroy Merlin (@leroymerlinfr) April 7, 2020
Qu’avez-vous mis en place pour maintenir le lien avec vos clients ? quels canaux favoriser selon vous ? quel ton de com adopter ?
En terme de lien, nous avions déjà énormément de points de contacts. La question est donc plutôt : quels canaux fermons-nous et sur quels autres nous concentrons-nous ?Quand on ferme les magasins, par transfert, vous imaginez bien que tous les autres points de contacts subissent un volume de flux colossal (téléphone, chat, mail, RS…). Tout cela tourne à plein régime.On a surtout conservé les canaux téléphoniques et digitaux, forcément, qui mettent physiquement à l’abri du contact.
Vu les circonstances, chaque prise de parole est un risque. Chaque message futile (au sens non utile, maintenant, au public) peut être très mal reçu, indécent, offensant, dommageable.Ce n’est pas à moi de dire aux autres le ton de com qu’ils doivent adopter. Je recommanderais seulement d’éviter les pièges de l’excès, de l’opportunisme et du Covid-washing.
Pour moi c’est le bon moment pour parler vrai et garder son calme.
Il faut être rassurant, confiant – sans angélisme – et parfois ferme.
Parler vrai car la défiance, le doute, les hésitations et les fake sont partout. Si on veut garder la confiance qui existe entre nos clients et nous, c’est moins que jamais le moment de promettre des choses qu’on ne pourrait pas tenir ou “d’en faire des tonnes”.
Il vaut mieux dire qu’on ne peut pas, que c’est impossible pour le moment, que ça sera plus long que d’habitude… plutôt que de décevoir. Nous serions alors légitimement décriés.Rester calme parce que l’inquiétude ambiante est déjà grande. Pas besoin d’ajouter de la pression supplémentaire, ni d’effrayer.Il faut être rassurant, confiant – sans angélisme – et parfois ferme.
Et ça c’est très très dur ! Vous n’imaginez pas le niveau de virulence avec lequel s’expriment des tas de gens qui voudraient qu’on soit ouverts, ou qu’on soit au contraire fermés totalement, qu’on livre plus vite ou qu’inversement on cesse immédiatement de livrer.J’ai une grosse pensée pour les équipes CRM et le community management. Tenir ce cap n’est pas une sinécure.
Considérez-vous que l’après crise va avoir un fort impact sur les communications de marques, voire sur leurs missions ? Que devront-elles changer ?
Je ne suis sûr de rien, mais je l’espère vraiment.Je vois ce moment inédit comme une sorte de crash test pour les marques. Les circonstances actuelles sont un zoom très grossissant sur les valeurs et les qualités des unes et des autres. Leurs discours c’est bien (et encore), mais leurs actes c’est tellement mieux.
J’imagine qu’on attendra encore plus des marques qu’elles fassent leur part, qu’elles contribuent à leur manière et avec leurs moyens à la sortie de crise, à l’amélioration de ce nouveau quotidien confiné et à l’après. Je pense qu’elles vont devoir toutes prouver leur utilité dans le sens de “qu’apportons-nous d’unique qui fait que les clients nous préfèrent chaque jour et nous préféreront toujours, même en temps de crise ?”.
Les circonstances actuelles sont un zoom très grossissant sur les valeurs et les qualités des unes et des autres. Leurs discours c’est bien (et encore), mais leurs actes c’est tellement mieux.
Je crois aussi qu’elles vont devoir s’interroger sur la nature du lien qui les unit à leurs clients et à la société. Quel équilibre relationnel/transactionnel est en place ? Car si la réponse est 100% ou 90% ou même 80% transactionnel, que restera-t-il de cette marque si elle doit affronter un effondrement durable ou cyclique de la demande ?
Pour moi une chose est sûre, les marques auront un grand chantier de ré-invention d’imaginaires devant elles. La force d’une marque réside en grande partie dans sa capacité à faire exister un imaginaire associé, un monde ou un mode de vie “qui va avec”. Or le monde vient de changer brutalement et peut-être durablement. Ce qui me faisait rêver fin février n’a plus aucun intérêt aujourd’hui. Comment réinventer cela ? Comment me placer dans ce nouveau monde ?
Les agences auront toute leur place pour les aider à répondre. Il y a du boulot 😉
Comment imaginez-vous l’« après » pour votre enseigne ?
Encore une fois, je ne sais pas trop. Mais je ne serais pas surpris que ça soit assez éloigné de ce qu’on a connu jusque-là. Je ressens que les gens ne sont pas pressés de retrouver l’avant, ils seraient plutôt pressés de commencer l’après. Un après différent. Et dans cet après, il apparaît que la maison – au sens du “chez soi” – vient soudainement d’occuper une part encore plus grande dans la vie de tout le monde.
Il s’agira donc de prendre toute notre place, avec lucidité et humilité. Peut-être en étant encore plus présents, plus aidants, plus accompagnants dans les situations délicates de nos clients.
Certainement en construisant encore plus de passerelles avec tous nos partenaires, pour tisser un réseau qui crée du lien, de la continuité dans l’expérience et la relation en grande proximité. C’est surtout les façons de faire qui vont être bouleversées, pour le reste il ne faudra pas oublier de continuer à se concentrer sur l’essentiel : améliorer la vie des gens chez eux et leur être utile en toutes circonstances.