Edgard Bonte, Président d’Auchan Retail et Président du Directoire d’Auchan Holding, nous livre avec son franc-parler habituel, ses réflexions et constats sur les bouleversements économiques en cours et à venir dans la distribution.
Ce doit être une prise de conscience globale. Et donc, cela doit absolument changer les comportements et façons de consommer structurelles. J’espère qu’on va arrêter de faire du grand import assez rapidement. Que l’on consomme moins mais plus qualitatif.
Qu’est ce qui pour l’instant, vous a marqué dans cette période ? Une belle histoire ? Une entreprise ? Une personnalité ?
Ce qui m’a interpellé, c’est l’engagement aussi rapide de l’Etat, aussi rapide. Bruno Le Maire et le gouvernement ont tout de suite réagi, avec les PGE, les allégements de charges, etc. Globalement, l’efficacité du dispositif.
Quelles sont les initiatives de marques ou d’enseignes qui vous ont interpellé ?
Au-delà des enseignes, toute l’accélération sur le drive ou le digital. C’est une chance, ça s’accélère et ça devient une évidence. Et puis les initiatives intéressantes que j’ai trouvées, ce sont toutes les démarches locales d’entraide, de fournisseurs locaux, de solidarité qui se sont mises en place. Je trouve ça incroyable !
Avez-vous noté des changements au sein de votre enseigne qui seront potentiellement pérennisés ?
Quasiment tous les magasins ont la moitié de leurs rayons fruits et légumes en local et ce sont eux qui décident. Donc, ça va durer au-delà de cette crise.
Evidemment, nous avons mis en place des systèmes de référencement en moins de 48 heures pour les producteurs. Quasiment tous les magasins ont la moitié de leurs rayons fruits et légumes en local et ce sont eux qui décident. Donc, ça va durer au-delà de cette crise. En exemple, j’étais à Petite Forêt, près de Valenciennes, j’ai rencontré un producteur de pommes de terre. Ça fait 45 ans que le magasin existe, son exploitation est à deux kilomètres du magasin. C’était La première fois qu’il venait dans le magasin parce qu’il vend en direct. Avant c’était trop compliqué, on lui demandait d’envoyer son dossier au 200 rue de la Recherche à Villeneuve d’Ascq, d’attendre 6 semaines qu’on le rappelle pour s’entendre dire : « je ne sais pas, il faut voir le prix ». Le producteur laissait tomber. On voit aujourd’hui l’intérêt de travailler en direct et de ne pas passer par les coopératives ou autres circuits.
Comment imaginez-vous « l’après » pour votre enseigne ?
Une offre RSE plus forte mais qui ne soit pas qu’une présentation sur un paper board comme on sait tous très bien le faire !
J’espère surtout qu’il ne sera pas comme avant. Surtout, qu’on aura cette faculté et cette intelligence de ne pas refaire ce qu’on faisait avant. Nous avons une opportunité énorme de pouvoir accélérer les transformations. C’est même plus que ça, c’est sociétal. Ce doit être une prise de conscience globale. Et donc, cela doit absolument changer les comportements et façons de consommer structurelles. J’espère qu’on va arrêter de faire du grand import assez rapidement. Que l’on consomme moins mais plus qualitatif. Moins de machines à mass market, au profit de choses plus équilibrées, avec une offre RSE plus forte mais qui ne soit pas qu’une présentation sur un paper board comme on sait tous très bien le faire !
Peut-on déjà imaginer l’impact de cette crise sur le comportement futur des consommateurs ? Sur les modèles économiques des retailers ?
Sur le modèle économique, clairement, fondamentalement. Ca avait déjà commencé avant, nous étions sur un modèle économique de masse, d’industrialisation de la distribution. Nous devions aller chercher chaque centime en amont à l’achat. On ne dit plus ça, on prime la relation équilibrée, le prix n’est plus le seul critère. De ce fait, notre modèle change complètement, tous les équilibres économiques cassent.
Pour l’instant, les consommateurs ne sont pas normatifs. La consommation est clairement orientée sur les pâtes, le riz, … . Pour exemple, on fait un flop total en poissonnerie. On fait du -25/-30% parce qu’il y a une intervention humaine sur le produit. Alors que nous mettons en avant les produits filières, la traçabilité. Par contre, le saumon emballé juste derrière, lui fonctionne. Les réactions consommateurs ne sont donc pas encore normatives, il faudra attendre.
Pensez-vous que « l’après crise » va avoir un fort impact sur la communication des marques ? Sur leur mission ? Que devront-elles changer ?
J’espère qu’on ne va pas repartir dans le promotionnel à gogo. Pour l’instant, la communication est en stand-by, un peu une com de guerre. On communique juste sur les mesures de précautions en magasin. Mais toute la profession est dans les starting-blocks. Nous sommes actuellement sur une mission de droit civique, nous nourrissons la patrie. Même si il ne faut pas s’emballer, nous ne sommes pas en pénurie de denrées alimentaires.
Un message à faire passer ?
On a de la chance de vivre une période pareille. C’est un changement profond.
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Bravo