Ce sont également les startups qui vont construire le monde d’après, c’est pourquoi nous avons demandé à Jérémie, fondateur de “Mes Voisins producteurs” de répondre à nos questions. Jérémie Guilbert et son associé Jean Barnezet ont développé sans doute une des startups les plus prometteuses de la région de Lille. Ils nous proposent via la livraison à vélo de produits alimentaires locaux une nouvelle façon de faire du commerce. Un sujet plus que jamais au coeur de l’actualité.
Nous sommes passés de 25 commandes en moyenne par jour à entre 150 et 200 par jour
Bonjour Jérémie, est-ce que vous et tout le monde autour de vous, allez bien ?
Oui très bien, j’ai la chance que personne ne soit touché dans mon entourage. Au sein de Mes Voisins Producteurs, j’ai envoyé un mail dès le dimanche à l’ensemble des collaborateurs pour les prévenir que nous allions passer en télétravail le lundi. Nous avons organisé une réunion en visio, et nous nous sommes organisés pour identifier les postes à passer en télétravail et ceux indispensables physiquement, notamment pour la préparation de commande et l’opérationnel.
Nous avons fait un appel pour trouver des masques et des gants, afin de permettre à nos équipes de travailler dans de bonnes conditions.
Une de nos préparatrices de commande et même une cliente ont réalisé des masques. Merci à elles pour ses jolis masques. Chaque membre de l’équipe à des masques lavables à sa disposition.
Un message à passer?
Oui, il faut prendre au sérieux le confinement, même s’il fait beau dehors et que cela donne envie de sortir. Plus on le respectera et plus vite nous sortirons de cette crise, et retrouverons une vie à peu près normale.
Que retenez-vous de cette période ? Une histoire ? Une entreprise ? Une personnalité ? Quelles sont les initiatives de marques ou d’enseignes qui vous ont interpellé ces derniers temps ?
Les services essentiels à la vie sont pris d’assaut, sont submergés… Je souligne aussi le fait que tout le monde se soit adapté, énormément de services de livraisons et d’initiatives solidaires se sont mises en place. Je peux citer par exemple INEAT, qui a lancé un site en soutien aux commerçants de proximité : Je soutiens mes commerçants.
N’importe quel commerçant, dont le magasin est fermé, peut y mettre en vente gratuitement ses produits sur une marketplace sans commission pour les distribuer par drive-piétons ou livraison. C’est une bonne chose que les entreprises qui ont l’expérience et la solidité suffisante, trouvent des solutions et oeuvrent de façon spontanée et totalement désintéressée.
Que penses-tu de l’arrivée en masse des produits bio et locaux dans les rayons ?
La grande distribution doit s’adapter à la demande. Les produits locaux et bio vont devenir la norme. La motivation principale de ce changement radical est principalement le besoin de satisfaire les clients même s’il y a sans doute une prise de conscience de certains dirigeants de grandes enseignes. On peut se demander pourquoi ils ne l’ont pas fait plus tôt…
C’est la raison d’être de Mes Voisins Producteurs, c’est inscrit dans la mission de l’entreprise. Je n’ai jamais voulu vendre d’autres produits que des produits bio et locaux et avec une volonté de ne pas laisser de trace sur la planète, jusqu’à la livraison à vélo. C’est sans doute malheureux à dire mais la crise nous met en lumière.
Comment faites-vous face à cette crise ? Avez-vous déjà une idée des changements opérés qui seront potentiellement pérénisables ?
En premier lieu, nous veillons à respecter les normes d’hygiène et de sécurité, le port du masque et des gants, ce sont des règles de base.
Nous sommes passés de 25 commandes en moyenne par jour à entre 150 et 200 par jour, ce qui demande une certaine organisation, cela ne se fait pas en un coup de baguette magique. Nous avons revu notre process de préparation de commande de façon très rapide, que l’on a testé au fur-et-à-mesure. Nous sommes passés de 2 à 5 préparateurs de commandes, de 40 m2 à 600 m2, il y a plus d’espace et de place pour travailler, de 1 à 6 livreurs en permanence de 15h00 à 22h00.
Nous avons grossi clairement les effectifs et avons tout structuré de façon soudaine. Heureusement nous avions déjà mis en place des fondations solides qui nous ont permis de dupliquer notre modèle de façon agile, beaucoup plus rapidement que nous ne l’avions envisagé.
Le panier moyen a doublé.
17 millions de repas sont servis chaque midi en France, si on compte les personnes à l’école ou à la cantine, tant de repas qui sont déportés et sont reportés sur les familles et les foyers qui sont confinés chez eux. Par la force des choses, ils ont du temps et se mettent davantage à la cuisine. Les produits n’étant plus autant disponibles dans les circuits de “grande distribution”, beaucoup s’orientent vers des circuits courts et des acteurs comme nous ou nos concurrents.
Je suis passé d’une commande de 10 plaques de 30 oeufs par semaine à 50 plaques tous les deux jours, soit 1500 oeufs tous les deux jours. Dans tous les magasins et drives, les oeufs ne sont plus disponibles.
Certains clients ont même passé une nouvelle commande avant d’avoir été livrés. La saturation de l’alimentaire rend la demande très forte.
Nous aurions pu être opportunistes et doubler nos prix mais ce n’est pas du tout notre conception, nous n’avons pas augmenté les prix mais en face certains producteurs les augmentent et parfois nous sommes contraints d’impacter le prix de vente. Sur les oeufs, le producteur a augmenté ses prix, j’ai choisi de ne pas modifier mon prix et de rogner sur ma marge. Certains clients qui n’ont pas l’habitude de consommer local nous trouvent évidemment chers…
Chaque nouveau client entre dans une sorte de process dans lequel nous l’accompagnons pour lui expliquer nos valeurs. Nous avons aujourd’hui des clients qui viennent d’enseignes de la grande distribution et ne comprennent pas forcément pourquoi la taille des carottes et à 12 cm alors qu’une carotte en hyper fait 20 cm : pour cela il faut l’accompagner. Nous avons mis en place un process de fidélisation.
A l’arrivée, après le confinement, nous conserverons sans doute 30% des nouveaux clients et pas 100%, la majorité sont présents car ils ont une demande forte et repartiront vers des cycles de consommation plus classiques. D’autres seront satisfaits et continueront de nous soutenir car nous les avons aidés à un moment de leur vie. Cela fait partie de notre stratégie post confinement et du processus de fidélisation client que nous avons mis en place via notamment le marketing automation.
Enfin nous recevons beaucoup de messages positifs, nous remerciant pour ce que l’on fait. Cela encourage toute l’équipe à se lever le matin.
Qu’avez-vous mis en place pour pouvoir poursuivre votre mission pendant la crise ?
Chez Mes Voisins Producteurs, nous avons trois canaux de distribution :
La livraison à vélo à domicile, la livraison en points de retrait et la livraison en entreprise. Les deux derniers sont fermés, les entreprises ne sont plus ouvertes, les points de retrait sont fermés également durant le confinement. Même avant que ce soit le cas, j’avais anticipé et pris la décision de ne plus faire les points de retrait et ne faire que les livraisons à vélo.
Du coup, après l’annonce officielle, nous avons tout bloqué et poursuivi uniquement la livraison à vélo à domicile.
Nous avons été immédiatement submergés de demande, et augmenté le personnel à la fois en préparation de commande, en livraison à vélo et aussi en service clients.
Sur ce dernier poste nous avons deux personnes qui travaillent avec un outil dédié qui nous permet d’échanger avec nos clients sur différents canaux : par mail, Facebook, Instagram, site et de centraliser tous les échanges. L’outil fait également office de CRM, il permet d’analyser les comportements clients, identifier les centres d’intérêt afin de mieux répondre à leurs attentes. Cela nous permet également de maintenir le lien avec nos clients, de les rassurer.
Jusqu’alors nous prenions uniquement les commandes via notre site internet. Face à la demande croissante aujourd’hui, nous prenons certaines commandes par téléphone : c’est une chose que nous avions envisagée mais pas encore mise en application. Certains clients n’ont pas l’habitude d’internet ou commandent pour des personnes âgées, grands-parents ou parents. Nous réalisons que nous sommes un service de première nécessité du coup nous nous autoriserons à prendre quelques commandes par téléphone par jour, cela nous prend du temps mais cela rend service à des personnes qui en ont besoin. Aujourd’hui 10% de nos clients sont des personnes âgées à mobilité réduite. J’ai des clients depuis deux ans qui ont entre 85 ou 90 ans, cela augmente et ce public ne connaît pas bien internet et n’a jamais acheté sur internet. Ils ont pu nous découvrir via les réseaux sociaux et surtout grâce au bouche à oreille.
Notre idée de base était de livrer plusieurs voisins dans une même rue et on commence enfin à y arriver. Des personnes nous demandent d’être livrées en même temps entre voisins. Evidemment nous répondons positivement, mais il est amusant de constater que les clients nous le demandent spontanément en nous précisant que cela nous fera moins de travail…
Dès qu’un client passe commande, nous envoyons un mail pour confirmer que la commande va être livrée et à chaque commande qui part de l’entrepôt, le client reçoit un SMS qui lui indique : “je suis votre livreur MVP, votre commande sera livrée entre 20 minutes et une heure” : nous envoyons ce message depuis seulement 2 semaines.
En terme de ton de communication, nous essayons de dédramatiser la situation, de montrer plus de choses qu’auparavant, être dans le vrai, la vraie vie du projet, tous les maillons de la chaîne, livreur… Nous avons montré récemment sur Instagram que nous ajustions les stocks avant l’ouverture du site internet. Certains clients pensent parfois que nous sommes une très grosse équipe bien loin des réalités d’une startup.
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Considérez-vous que l’après crise va avoir un fort impact sur les communications de marques, voire sur leurs missions ? Que devront-elles changer ?
Oui moi je vois cette crise comme un message que nous envoie la planète, le monde. Clairement, cela ne pouvait plus durer comme cela.
il y a eu tant de dérèglements dus à la surconsommation… Il faut revoir la façon de consommer et de vendre des produits. Je pense que les marques vont devoir prendre cette crise comme un message, le prendre en considération. On ne peut pas continuer cette surconsommation de produits provenant du bout du monde, que toute aille vite et voyage… Les marques vont devoir prendre cela en compte et revoir leur mission.
Comment imaginez-vous “l’après” pour votre enseigne ?
Nous allons baisser en commandes mais nous aurons beaucoup plus de volume qu’avant. Cela nous a appris à monter très vite, faire 800% de croissance en deux semaines seulement et réussir avec le même personnel cela veut dire que notre entreprise est scalable. C’est possible, nous arrivons à tenir le rythme !
L’après se fera sans doute avec beaucoup plus de clients et nous avons réussi à convaincre des clients qui ne seraient peut-être jamais venus chez nous. Nous aurons contribué un peu à dénicher le marché. La meilleure pub est celle de nos clients la pub que nous fait un client. Nous avons gagné en visibilité et surtout accompli notre mission.
Si la crise a pu favoriser une prise de conscience mondiale et collective contribuant à réaliser que le modèle actuel courait à sa perte, alors nous aurons tiré au moins un aspect positif de cette crise aux conséquences dramatiques.
Merci à Jérémie de nous avoir répondu, cela donne à réfléchir sur les enjeux de la consommation de demain, n’hésitez pas à ajouter un commentaire à cet article et partager votre point de vue afin de poursuivre le débat. Vous pouvez découvrir le site de Mes Voisins Producteurs : https://www.mesvoisinsproducteurs.com/
Petite info : il existe également une offre dédiée aux entreprises.
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