Entretien avec Patrick Seghin, PDG du groupe Damartex (Damart, Afibel, la Maison du Jersey…) En cette période où la silver économie est probablement l’un des secteurs les plus touchés par la crise, Patrick Seghin a partagé avec nous son optimisme et sa vision de “l’après”.
Beaucoup de marques ont communiqué très vite, trop vite. Je préfère des marques qui ont peu communiqué mais qui ont agi. Les marques qui m’ont impressionné sont celles qui ont agi sans en faire des tonnes en communication.
Qu’est ce qui pour l’instant, vous a marqué dans cette période ? Une belle histoire ? Une enseigne ? Une personnalité ?
Ce n’est pas une personnalité en particulier, c’est la solidarité dont font preuve un grand très nombre de gens, je ne parle pas particulièrement du personnel soignant, je parle des gens au quotidien. Je vois chez nous, dans le groupe, les réactions, les initiatives, le volontariat pour aider sur un projet qui a du sens… On a lancé des projets sur des masques, on fait des appels sortants sur les seniors, il y a plein de sujets… La crise a révélé, encore plus que ce qu’il était possible d’imaginer, le désir d’aider, la solidarité, le partage quel que soit le temps qu’on y consacre. Je le vois chez nous mais aussi autour de moi, quand on peut aider, on aide. On oublie tout, le temps, l’argent et on fait tout ce qui est possible pour se mettre au service de quelqu’un ou d’une cause.
Quelles sont les initiatives de marques ou d’enseignes qui vous ont interpellé ?
Culturellement, dans le groupe Damartex on a toujours fait le choix d’être sous les radars, même si on fait plein de choses, notamment avec la fondation, on ne communique pas.
Beaucoup de marques ont montré beaucoup d’empathie envers leurs clients et envers leurs collaborateurs, je trouve cela exceptionnel et très positif… Et puis il y en a qui ont joué un peu de l’effet d’aubaine… Beaucoup de marques ont communiqué très vite, trop vite. Je préfère des marques qui ont peu communiqué mais qui ont agi. Les marques qui m’ont impressionné sont celles qui ont agi sans en faire des tonnes en communication. D’un côté il y a Alibaba qui envoie gratuitement des masques partout dans le monde et qui le fait savoir par voie de presse et puis à côté de cela, il y a plein de petites boîtes qui agissent en silence. Du plombier de quartier aux grandes enseignes, il y a plein d’acteurs qui oeuvrent, qui agissent… Sans en faire un communiqué de presse à chaque fois. Ce sont eux qui m’ont interpellé. Culturellement, dans le groupe Damartex on a toujours fait le choix d’être sous les radars, même si on fait plein de choses, notamment avec la fondation, on ne communique pas.
Comment faites-vous face à cette crise ?
La crise nous a poussé à trouver les capacités à réinventer les modèles, plus que n’importe quel speech aurait pu le faire dans le passé !
Ce qui m’a bluffé, c’est la réactivité des collaborateurs. La capacité, en quelques jours, de réinventer des pans entiers de notre métier. Un exemple, ça fait un moment que je milite en interne pour instaurer le télétravail pour les centres d’appel, il y a toujours eu des blocages. Là en 5 jours, plus de 120 personnes sont passées en télétravail et prennent des appels clients de leur domicile. La crise nous a poussés à nous dépasser, à faire l’impossible. L’édition des catalogues est un autre exemple, on pense toujours que les process sont lourds et figés et bien là, on a tout remis à plat, on a réimprimé, on a re-personnalisé les envois. La crise nous a poussé à trouver les capacités à réinventer les modèles, plus que n’importe quel speech aurait pu le faire dans le passé !
Avez-vous noté des changements au sein de votre enseigne qui seront potentiellement pérennisés ?
Certainement, et sur toute la chaîne ! De l’approvisionnement produit à la sélectivité clients, les partenariats avec La Poste, la réactivité sur l’e-commerce et même les RH ! En quelques jours, on a dû changer notre approche. Avec la fermeture de 180 magasins, nous avons dû faire face à un chômage partiel très élevé avec tous les problèmes que cela génère. Cette crise a révélé chez nous de vraies capacités pour la réactivité, l’agilité et la créativité.
Comment imaginez-vous « l’après » pour votre enseigne ?
Sinon, oui, il y aura un “avant” et un “après”, la vision des marques et l’importance pour les marques d’être responsables et ce, à quelque niveau que ce soit, va être prépondérante.
L’après ? Une des leçons que je tire de cette crise pour l’avenir c’est l’importance de la communication interne quand on est massivement en télétravail. C’est important de partager, de donner du sens, d’avoir de bons outils de travail collaboratifs : il faut doubler, quadrupler les efforts de communication quand il n’y pas de possibilité de communication physique.
Sinon, oui, il y aura un “avant” et un “après”, la vision des marques et l’importance pour les marques d’être responsables et ce, à quelque niveau que ce soit, va être prépondérante. La gestion des flux de produits va aussi être un vrai sujet… Maintenant, vous dire à quoi va ressembler l’après, je n’en ai aucune idée… Il faut avoir l’humilité de se dire qu’on a fait 10 km de ce marathon qu’est la crise et qu’il nous en reste 32 devant nous. On va gérer, semaine après semaine, avec l’agilité et la réactivité nécessaires.
Un message à faire passer ?
Je vais citer Roosevelt, qui disait “La seule chose dont il faut avoir peur, c’est de la peur elle-même”. Le plus grand risque que nous pourrions craindre, c’est d’être tétanisés par l’ampleur de cette crise, que plus rien ne bouge… Le volontarisme va être essentiel et le volontarisme, ce n’est pas nier la réalité, c’est la regarder en face sans non plus céder à un optimisme béat.